C’est reparti pour un second tour de carrousel. Certains disaient, ce sera une vaguelette. Non, en octobre c’est un tsunami qui vient sur nous, comme sur toute l’Europe, et les hospitalisés vont bientôt remplir les cliniques et empêcher, faute de lits, les médecins et les infirmiers d’effectuer leur travail. Certains médicaux menacent, il faudra bientôt choisir entre les arrivants : les soigner ou les refuser.
Malheur aux vieux !
Chaque fois que je sors de chez moi avec mon chien pour seule compagnie, j’entends des sirènes d’ambulances. Cela ne rate pas. Qui aurait cru qu’après une vie de travail, la retraite, période bénie de repos et de récupération, se passe maintenant dans l’isolement, le masque sur le visage dès qu’on met le nez dehors, l’éloignement des autres corps dangers potentiels ; on s’écarte de vous comme je m’éloigne aussi des personnes que je croise sur les trottoirs, au cours de promenades stressantes, irrespirables sous la chaleur du masque.
Cette fois, ce sont les jeunes les plus contaminés, surtout la génération de 20 à 30 ans, sur les campus universitaires notamment, où on a beaucoup fait la fête et donné des milliers de bisous en juin et juillet pour la fin des examens et la proclamation des résultats.
Leur chance est pour la plupart de ne pas être tous encore hospitalisés.
Si lors de la première vague, ce furent les villes et villages flamands les plus contaminés, cette fois ce sont les communes francophones et wallonnes qui sont touchées, même celles qui furent épargnées durant les 6 premiers mois de l’épidémie. Je pense au Brabant wallon et à la commune de Lasne, par exemple, à 20 kilomètres de la Capitale et commune la plus riche du pays, maintenant terrifiée par le nombre inattendu de ses malades.
Comme si le virus était programmé sur l’algorithme: Je dois entrer dans tous les corps et ne pas en manquer un seul.
Nous finirons tous par y passer.
Comment douter qu’après une seconde vague plus meurtrière que la première, il n’y en aura pas une troisième. Car le virus qui n’est pas idiot, arme diabolique, attend dehors, devant les portes fermées du confinement. Il a l’éternité pour lui, il est d’une patience satanique. Après plusieurs semaines de confinement, les autorités décideront de libérer un peu la population et d’ouvrir les portes, et permettre un semblant de vie sociale. Les jeunes sont les premiers à se relâcher. Retrouver les copains, copines, se donner des bisous, et les parlottes qui n’en finissent pas dans les groupes et autres maisons communautaires.
Tous ensemble ! Tous ensemble ! est leur devise.
Le virus n’attend que cela ; il fonce sur les créatures fraîches, offertes appétissantes, tandis que dans les maisons pour vieillards, on sortira les derniers cadavres morts de triste solitude.
Ce sera, alors, la troisième vague, pire que les deux précédentes. Les créatures humaines tomberont comme des mouches, chez eux, en rue, n’arriveront plus à l’hôpital vu que le personnel médical aura disparu, faute de combattants en fuite ou décédés.
On n’entendra plus la sirène des ambulances.
Les autorités ont eu sept mois pour prévoir cette seconde vague plus terrible que prévue. Qu’ont-ils fait ? Rien. Pas de nouveaux lits supplémentaires dans les hôpitaux, les assistants infirmiers ou médecins malades, épuisés, ne furent pas remplacés. Ceux qui ont tenu le premier choc et qui réclamaient une augmentation de traitement, et un engagement de personnel supplémentaire pour suppléer aux absents, n’ont pas encore reçu de réponses concrètes. « Pensez donc, on ne décide pas cela en une nuit », répond le nouveau Ministre fédéral de la Santé. Ils ont eu 7 mois, et ils n’ont rien prévu !
Malheur à ces chefs incapables, jamais coupables, jamais responsables !
Les médias et la presse sont fautifs de n’avoir pas averti de suite qu’il fallait se préparer au rebond. Non, les médias se sont contentés de terroriser la population en citant chaque jour la litanie des chiffres toujours plus dramatiques, ceux des contaminés, des hospitalisés, des soignés aux soins intensifs et des morts.
L’incroyable impudeur des TV qui osent montrer le spectacle des pauvres corps allongés sur le ventre dans leur lit, aux soins intensifs, corps désarmés, perforés par des tuyaux reliés à des machines de la Guerre des Mondes vue par Wells. Les responsables médicaux jouent là des rôles de film d’horreur. Leur but ne serait-il pas de terroriser la population qui ne reçoit jamais la moindre parole d’espoir, sauf celle d’attendre un vaccin sauveur dont la date est sans cesse reportée, cette fois à l’été 2021.
Sauveur dites-vous ? La moitié des Belges refusent déjà le vaccin. On les a trompés depuis le début avec la pénurie inouïe des masques, avec les respirateurs inadéquats et en trop petit nombre. Que de temps avant que les commandes effectuées dans l’urgence ne soient exécutées.
Les faibles sans défense sont très souvent accusés de fautes qu’ils n’ont pas commises.
En période de pandémie et de confinement tout azimut, il reste d’exprimer l’amour par des paroles, des écrits, des actes. L’amour doit se dresser dans sa plénitude à tous les étages de la société, entre époux, amants, enfants grands et petits, amis, vieux et jeunes. Une marée d’amour pour noyer les nuages de virus que nous traversons depuis des mois.
Sauterelles innombrables et sans fatigue, fléau d’Apocalypse, fichez-nous la paix !
Les bonnes intentions n’ont plus cours dans ce temps d’épidémies où la mort nous encercle. Seuls comptent les actes d’amour. Rien d’autre.
Comment les corps peuvent-ils se rejoindre dans l’amour vu les exigences obsessionnelles de la « distanciation » et des « gestes barrières » ? On va inventer un érotisme à distance et masqué ?
On ne dit jamais assez à un être beau, garçon ou fille, qu’il est beau. D’entendre cela, le remplit d’énergie, d’assurance, d’optimisme. Mais derrière le masque, qui voit leur beauté ?
Y a-t-il une limite d’âge pour cesser de tomber amoureux ? Non, si l’amour est un cadeau du Ciel. Dieu ne s’intéresse pas à l’âge pour gâter de temps en temps sa créature.
PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020 ; 6ème partie : Carnets Août 2020 ; 7ème partie : Carnets septembre 2020.)
(suite)
Dans la Rolls conduite par l’Ambassadrice, Yagi m’avait expliqué qui était Miss Violet Westwood.
Miss Westwood connaissait depuis longtemps l’Ambassadrice car, au temps de leur jeunesse, elles avaient été élèves, plusieurs années, en Angleterre dans une pension chic du Surrey. Elles se voyaient ou s’écrivaient régulièrement. Violet avait décidé de s’installer en Belgique quand son amie lui annonça que son mari était nommé Ambassadeur de l’Inde à Bruxelles.
Violet, fille unique, toujours célibataire et sans enfant, mais à la tête d’une jolie fortune, quitta les beaux quartiers de Londres, celui des ambassades de Mayfair, et acheta au Zoute, en Belgique, une grande maison dont les terrasses avaient vue sur la mer.
Elle pouvait respirer l’air vif, se promener chaque matin sur la plage avec son caniche blanc Peter, améliorer la pratique du golf, et jouer au bridge dans un cercle de dames où elle retrouvait son amie deux fois par mois soit à Bruxelles soit à Knokke-le-Zoute. Violet, ne sachant pas conduire, utilisait les services d’un chauffeur pour ses déplacements en Belgique.
Elle connaissait bien Yagi pour l’avoir rencontré à de nombreuses reprises à l’ambassade.
Violet, par sa mère, descendait du clan écossais Colville, des vicomtes Colville of Culross, situé dans la région des Lowlands, avec pour devise Oublier ne puis !
Le père de Miss Westwood avait terminé sa carrière comme haut magistrat à la division criminelle de la Cour d’Appel d’Angleterre et du Pays de Galles.
On comprend, interrompit l’Ambassadrice, que Violet fille unique d’un père sévère, déteste le désordre, les retards, même si dans l’intimité, elle raconte à son amie des souvenirs de jeune fille rebelle et montre un esprit d’indépendance.
Connaissant mal à cette époque les clans écossais jamais étudiés au Collège St Michel, je fis semblant de m’intéresser au discours de Yagi toujours parfaitement documenté, et j’ouvris de grands yeux pour montrer mon vif intérêt.
Yagi me dit encore : « Les hommes écossais portent des jupes, des tartans aux couleurs différentes pour chaque clan, et en dessous des jupes …. ». Il ne put achever.
– N’exagère pas Yagi, et ne te moque pas de leurs traditions, dit sa mère.
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L’Ambassadrice amena dans l’allée la lourde Rolls jusqu’à l’escalier qui montait vers les terrasses. Nous sortîmes de la voiture en claquant les portières.
Miss Westwood nous attendait, petite dame en tailleur aux couleurs du clan maternel, vert, rouge et noir. Ses cheveux courts étaient blonds, teints sans doute. Le visage encore jeune s’éclairait de fréquents sourires. Elle me plut de suite. Cette Miss est bien sympathique, me dis-je.
Notre hôtesse et l’Ambassadrice s’étreignirent. « Comme je suis contente de vous voir ! Quelle aventure ces garçons ont vécu ce matin avec votre chauffeur malade ! Venez, entrez, nous allons commencer par un apéritif maison. », dit Miss Westwood.
Elle embrassa Yagi qui lui baisa la main.
L’Ambassadrice me présenta : « Voici Daniel Baetens, un ami de collège de Yagi, ils sont dans la même classe et finissent leurs vacances à l’Ambassade. »
Je baisai la main de Violet en inclinant la tête comme Yagi.
Elle nous fit entrer dans la véranda de la maison, et nous invita à nous asseoir dans des fauteuils de toile rouge qui entouraient une table basse où s’éparpillaient des revues de mode.
La grande baie ouverte, le bruit des vagues, le gris et le bleu de l’horizon, le cri de quelques mouettes pressées, montraient combien cette maison où nous étions accueillis, respirait la paix.
Peter le caniche, bondissant de je ne sais où, des cuisines sans doute, vint nous saluer joyeusement et sans aboyer.
– Un déjeuner léger sera servi pour vous remettre de vos émotions. J’ai été avertie par l’Ambassade que vous viendriez vous reposer chez moi après les incidents de ce matin. J’espère que cela ne gâchera pas votre journée de vacances, dit Miss Westwood.
Se tournant vers Yagi, elle ajouta : « Vous pourrez quitter la villa quand vous le voudrez pour vous amuser. Il y a des vélos dans le garage. Mais d’abord, buvons ce Pineau des Charentes qui nous attend, dit Miss Westwood. Cela vous ravigotera avant de passer à table. Elle agita une clochette qui tinta.
Un domestique en veste blanche, cravate et pantalons noirs, apporta l’apéritif, la bouteille et les verres, sur un plateau d’argent.
– A la santé de ceux que j’aime, trinqua notre hôtesse.
Je n’avais jamais bu une liqueur plus exquise, dorée, fraîche, aux goûts de raisin.
– Je vois que vous l’appréciez, observa-t-elle en riant et fermant les yeux tandis que le divin liquide coulait dans la gorge écossaise.
Elle ajouta dans un parfait français : «Le Pineau des Charentes est toujours obtenu après un assemblage en fûts de chêne avec un 3/4 de volume de jus de raisin et 1/4 de Cognac distillé l’année précédente. Après il prend de l'âge ! C'est un mélange de moût, obtenu par pressurage du raisin, et d’eau de vie de cognac, de la même exploitation viticole et du même terroir. Mes parents en buvaient avant chaque déjeuner. Je continue la tradition.
Fermant les yeux, elle se mit à rire toute seule, et l’Ambassadrice heureuse l’imita.
A ce moment, la mère de Yagi compléta le portrait de son amie : « Ce que vous ignorez tous les deux, nous dit-elle, c’est que Miss Westwood fut à plusieurs reprises choisie par la reine pour être sa dame d’honneur lors de galas, inaugurations et fêtes officielles. »
- « Ce fut une belle époque » dit Violet à Yagi qui écoutait avec attention. « La reine, née Elisabeth Bowes-Lyon, le 4 août 1900 à Londres, était la neuvième des dix enfants et la quatrième fille de Claude Bowes-Lyon, un noble écossais, alors lord Glamis, puis 14e comte de Strathmore et Kinghorne, et de son épouse, lady Cecilia Nina Cavendish-Bentinck. Le roi Georges VI, le roi bègue, fut son époux bien-aimé. »
- Pourquoi, Miss Westwood, avez-vous accepté ce job de dame d’honneur ?, dis-je.
- Parce que on ne refuse rien à la reine, née dans une famille de la noblesse écossaise, qui eut toujours un faible pour les Ecossais et connaissait bien la famille de ma mère, les Colville, ses amis d’enfance, compagnons de promenades à cheval et de chasse à courre.
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Ensuite, nous passâmes à table dans la grande salle à manger dont les fenêtres hautes et larges ouvraient sur les dunes de Knokke, sans voisins, sans constructions disgracieuses, car la côte belge très bâtie est une des plus laides du monde. Partout du béton, partout des immeubles clapiers à appartements multiples où s’entassent locataires ou propriétaires respirant l’air de la mer du Nord pour décrasser leurs poumons de citadins. La vue était belle si on regardait vers la mer et la plage. La vue était affreuse si, sur la plage, on regardait derrière soi le mur des immeubles tous plus laids les uns que les autres.
Le même domestique nous servit. Au menu : omelette aux crevettes, ni trop cuite ni trop baveuse, des feuilles de salades assaisonnées avec adresse, des frites, le tout accompagné d’une bouteille de Haut-Médoc qui avait reçu un grand prix dans l’année et que nous dégustâmes sans restrictions. Ensuite pour terminer, de la mousse au chocolat que la cuisinière invisible avait préparée pour notre gourmandise, sur les instructions de Miss Westwood qui connaissait bien l’Ambassadrice et son fils.
Le café servi et bu, Yagi se leva, demanda la permission de prendre l’air avec moi pour le temps qui restait avant de rentrer à Bruxelles.
Nous décrochâmes les deux vélos rangés dans le garage de la maison. Il était quinze heures. Beau soleil, vent léger et mouettes nombreuses qui passent devant la véranda.
Je suivis mon ami.
(A suivre)
Henri de Meeûs