Je plains les enfants affublés de masques toute la journée dans leurs écoles, ainsi que leurs maîtres ou maîtresses obligés de parler fort sinon les élèves entendent mal, et dans la cour de récréation forcés de tenir les distances. Le virus est capable de sauter comme une puce d’un corps sur l’autre pour bien l’infecter. On terrorise, on se méfie des uns et des autres, on est monstrueux de laideur ; ces masques ne feront plus apparaître bientôt que les sourcils.
Le bureau de poste de ma commune a une immense salle d’accueil. Il est interdit d’y entrer si trois clients sont aux guichets. Il faut attendre une sortie pour y accéder et respecter ainsi le chiffre maximum de 3 clients autorisés dans la salle. Obligation d’entrer masqué. Les employés aux guichets sont protégés par une double paroi de verre avec de petites ouvertures pour le transfert des lettres et des colis postaux.
Au guichet, je pose une question sur le coût de l’envoi vers Paris d’un paquet contenant un livre. L’employée répond. Je ne comprends pas un mot de ce qu’elle dit. Je fais répéter. Idem. A la quatrième reprise, elle se décide d’ouvrir une petite fenêtre de l’épaisse paroi de verre, et je comprends enfin ce qu’il faudra payer. Je m’excuse. Mon grand âge …
Chez Proximus, le plus grand opérateur téléphonique, je voudrais parler à un être humain pour :
– modifier la teneur de mon abonnement TV, – supprimer certaines chaines superflues – , téléphone fixe, gsm, et mon ordinateur.
– recalculer vers le bas le coût de l’abonnement complet pour l’ensemble.
Mais ce sont toujours des robots qui répondent et me renvoient de l’un à l’autre. Impossible d’entendre une voix humaine à qui expliquer le détail de ce qui ne va pas, tandis que mon argent est pompé chaque mois.
Les médias ne protestent pas face à la robotisation accélérée des affaires et des procédures. La population entière est exploitée. Population d’esclaves et stratégie hypocrite de profiteurs qui font les sourds pour ne rien solutionner.
Même chose dans une puissante banque qui a décidé qu’il ne serait plus permis de recevoir les extraits papiers de mes comptes sinon en payant 1 ou 2 eur par envoi mensuel. J’essaie d’atteindre la banque au n° de téléphone du service « Easy » chargé de la mise en place de cette nouvelle procédure robotique qui met en difficulté les personnes âgées. Pendant vingt minutes, un répondeur et une musique guillerette m’annoncent que je dois patienter, que le personnel est à mon écoute. Après 20 minutes, je raccroche. J’essaierai une autre fois à une autre heure. Le client est roi.
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Dans le monde littéraire, peu de vrais amis. C’est du chacun pour soi. J’ai été avocat. Les chers Maîtres se détestent et disent du mal les uns des autres. On se chipe les clients, surtout en matière pénale.
Certains avocats feront attendre celui de la partie adverse en négligeant de répondre rapidement au courrier reçu, en envoyant tardivement les conclusions, après plusieurs rappels. On s’étonne des retards pour la fixation des audiences ; les juges sont les victimes de ces querelles masquées.
Les médecins, les dentistes, ne se ménagent pas non plus. Ils infirment souvent avec une moue méprisante le diagnostic ou le travail opératoire d’un confrère.
Personne n’aime personne.
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Pourquoi les dirigeants francophones de Belgique, les nombreux ministres de la Culture, les responsables médiatiques TV et radio, les critiques musicaux, ont-ils permis, durant les quarante dernières années, la destruction et la disparition de la grande et mélodieuse chanson française aux textes bien écrits, celle des chanteurs poètes à belle voix, (tels Brassens, Ferré, Béart, Reggiani, et plus récemment Michel Berger, notamment…) qui furent remplacés par un tsunami de musique anglo-saxonne, peu harmonieuse, avec des textes incompréhensibles ou idiots.
Les Beattles, parfaits symboles du basculement dans la vulgarité décadente, inaugurèrent cette mise à mort du français dans la chanson.
Maintenant, jour et nuit, la langue française quand elle est entendue dans un programme musical, ne produit plus que laideur et bêtise. Comme les chants religieux actuels dans les églises, insipides et niais.
Quel désastre pour l’esprit et la sensibilité des jeunes à qui manquera le goût de la Beauté, de la Poésie, et de la Musique. Le français bientôt une langue morte ?
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PROTESTATION
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(Avertissement : PROTESTATION est un récit imaginaire d’Henri de Meeûs, publié dans les Carnets de ce site littéraire, soit : 1ère partie : Carnets janvier 2020 ; 2ème partie : Carnets février 2020 ; 3ème partie : Carnets mars 2020 ; 4ème partie : Carnet juin 2020 ; 5ème partie : Carnets juillet 2020.
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A neuf heures, nous étions embarqués dans la Rolls blanche conduite par Alisha le chauffeur au turban. Une vitre en verre nous séparait de lui. Yagi éteignit le microphone.
– Nous aurons la paix, dit-il. Il conduit souvent mes parents qui aiment se distraire au Zoute le week-end, mon père pratique le golf et pour ma mère, c’est le bridge avec ses amies dans cette station chic. Tu connais Knokke-le-Zoute ?
– Je n’ai jamais vu la mer en Belgique. Pour mon malheur, en juillet j’ai découvert le littoral hollandais à Zandvoort et j’ai cru m’y noyer.
Il me regarda rapidement et dit :
– Tu es content d’être avec moi ? De m’avoir retrouvé ? Ce fut une longue absence. Mais il était impossible de rentrer des Indes plus tôt. Mon grand-père ne le permettait pas et mes parents n’ont pas voulu le mécontenter pour une fois que je passais quelques jours avec lui dans son palais à la lisière de l’Himalaya. Mais en réalité, je souhaitais revenir en Belgique car cette vie en Inde est formaliste, ennuyeuse. Je ne pouvais rien faire sans l’autorisation du grand-père qui me conseillait de ne jamais sortir seul. Il y a des menaces populaires et il ne voulait prendre aucun risque. Je vivais accompagné de gardes du corps. Beaucoup de domestiques nous servaient, mais pouvions-nous leur faire confiance ? That is the problem !. Mon père n’était pas favorable à ce séjour et ma mère ne voulait pas faire de peine à son père qui ne m’avait plus revu depuis quatre ans. Je suis son seul héritier. Il insiste toujours sur le fait que c’est moi qui devrai lui succéder. Tu parles d’une charge ! Quand il m’interroge si je suis prêt à accepter cet héritage, je ris, je ne réponds pas, ou je dis : « Ne meurs pas, je suis trop jeune. »
– Tes parents racontent que tu as chassé le tigre.
– Oui un jour, ce fut magnifique, une battue à dos d’éléphants. Cinq éléphants ! Celui en tête était occupé par mon grand-père et par moi et les quatre autres, à la queue leu leu étaient réservés pour les invités, chacun dans leur howdaw. Un howdah, tel que ceux utilisés par les princes de l'Inde, est un siège de bois formant deux compartiments, recouvert de feuilles d'argent et d'or, et fixé solidement sur le dos de l'éléphant
De nombreux traqueurs très excités devaient rabattre les fauves vers les tireurs perchés dans leur howdaw.
Un spectacle très coloré et bruyant. Nous étions en tête du groupe des pachydermes. Il y eut un moment de stress quand notre éléphant qui avait senti la proximité du tigre se mit à barrir de toutes ses forces et à danser sur place. Plus moyen de le faire avancer. Mon grand-père se saisit de sa carabine Winchester pour faire face en cas d’attaque du tigre. Notre jeune cornac avait toutes les peines du monde à calmer l’éléphant. Je saisis ma carabine aussi.
Mais très vite, le tigre fila devant nous dans les hautes herbes et on ne le revit plus. Voilà, c’était fini, après deux heures de chasse. J’avais eu le temps de vivre une émotion, le cœur battait plus vite, mais finalement, les autres invités très honorés par l’invitation, n’ont rien dû voir. C’est la chasse ! En réalité, tuer un tigre est interdit par la loi sauf dans notre région, où ils sont nombreux encore. Nous aidons les éleveurs de troupeaux en tuant un tigre ou deux chaque année.
Ce fut mon unique chasse. Ne raconte pas cette histoire au collège St Michel. D’ailleurs, tout ce que je te dis doit rester secret. Tu comprends ? C’est très important pour moi de te faire une confiance totale. Si tu me trahis, on ne se verra plus jamais.
Il me regarda à nouveau. Ses yeux sombres ne riaient pas.
– Tu peux me faire confiance, Yagi. Je ne te trahirai pas.
Etais-je sincère ? C’est une réponse obligée même si on n’y croit pas. Yagi ne pouvait savoir si je disais vrai. Je n’avais pas encore vécu une occasion où j’aurais pu le trahir. Nous ne nous étions jamais disputés au collège.
Mais si sa famille m’accueille en son sein, les occasions seront plus nombreuses où nos esprits pourraient se combattre. Je ne le voulais pas, mais je ne suis pas docile. Vivre protégé par les parents de Yagi me sauvait, mais je n’étais pas leur fils. Ils n’accepteraient pas que je prenne des libertés que ma mère m’accordait parfois. Et dans ce cas, la relation amicale cesserait.
Nous roulions depuis une demi-heure environ. La limousine rapide, souple, silencieuse, toujours à gauche sur la troisième bande de l’autoroute, dépassait à 140 km à l’heure les autres voitures sans craindre les radars qui, cachés, flashaient sans scrupule les téméraires.
– Le chauffeur ne roule- t-il pas trop vite, Yagi ?
– Cela n’a pas d’importance. Corps diplomatique. On ne paye jamais les amendes.
Mon ami riait. Sentiment de ma puissance dans ce véhicule luxueux aux sièges de cuir rouge. Si ma mère m’avait vu ! Elle, la plus modeste des mères, la sacrifiée, morte durant ses premières vacances avec moi, mais qui fut toujours fière de l’intelligence de son fils.
– Tu comptes nager là-bas ? Dis-je.
– On verra. Il faut d’abord déjeuner. On cherchera un restaurant. J’ai reçu de l’argent. On peut aussi regarder les vitrines des magasins luxueux du Zoute. Il y a de belles montres à admirer chez des bijoutiers. C’est la plus belle plage et la plus riche du littoral belge
– Où ira manger Alisha ?
– Ce n’est pas mon affaire. Il ne doit pas nous accompagner. Il sait où parquer la voiture. Le bourgmestre et la police connaissent bien la Rolls de mes parents. Je ne m’en fais pas. Il n’y aura pas de procès-verbaux. Alisha nous attendra. Parfois, il se promène sur la digue. Je ne le surveille pas. Mes parents ont confiance en lui, sinon ils ne nous auraient pas permis de venir à Knokke avec lui conduisant la Rolls. Il a vingt-cinq ans.
J’allongeai mes jambes devant moi sur le tapis grenat, et fermai les yeux comme si je voulais dormir un peu. Mes paupières n’étaient pas closes car je regardais la nuque et le profil du chauffeur, du siège où j’étais assis, à droite derrière lui. Je fus frappé tout à coup en voyant que ses lèvres bougeaient comme s’il marmonnait ou disait une prière. Et sur son front, perlait de la sueur.
Je saisis le bras de Yagi pour attirer son attention sur Alisha.
– Cela ne m’étonne pas qu’il prie, il est très pieux, a dit mon père. Il a été engagé il y a un an. Je ne lui ai guère parlé jusqu’à présent. Chez nous, on ne cause pas trop avec les domestiques. On commande, ils exécutent. Mais ceux qui nous servent avec respect, nous les traitons bien.
Yagi alluma le microphone et dit en langue indi, qu’il me traduisit aussitôt : « Alisha, tout va bien ? Vous dites vos prières ? Vous avez peur de vous endormir au volant ? Sinon, il faut vous arrêter. On boira un café à la prochaine station d’essence, le temps de prendre un peu d’air dix minutes. »
Alisha hochait la tête, mais restait silencieux. J’eus l’impression qu’il accéléra la vitesse. La cadran indiquait 160.
– Pourquoi roule-t-il plus vite ? Dis-je.
– Je pense qu’il va s’arrêter au prochain Lunch Garden qui est celui de l’aire de Sint-Denijs-Westrem.
Yagi lui parla d’un ton sec. Je vis le chauffeur lever la main droite signifiant qu’il comprenait et cinq minutes plus tard, la Rolls quittait l’autoroute pour se garer dans le parking de la station Total, le long de la cafetaria annoncée par Yagi.
Mon ami n’était pas content. Je ne compris pas leur échange mais il fit signe à Alisha de se rendre vite aux toilettes tandis que nous nous dirigions vers une table libre pour commander un café.
– Je ne comprends pas pourquoi il s’est mis à accélérer brusquement, dit Yagi. Je crois qu’il devait pisser. Tu as eu peur ? Il conduit correctement cette lourde voiture tant appréciée par mon père qui ne souhaite pas utiliser d’autres marques.
– Il a raison d’aimer les belles voitures, répondis-je.
J’aurais voulu ajouter : « et les belles femmes », en pensant à l’Ambassadrice, l’épouse distinguée qui ne passait pas inaperçue.
Après avoir bu chacun notre café, et ne voyant pas Alisha revenir des toilettes, nous décidâmes de le chercher, s’il était encore dans les toilettes ou s’il avait repris sa place dans la Rolls sans oser se joindre à nous.
Dans l’espace sanitaire réservé aux hommes, il n’y avait personne. Le verrou d’une porte était fixé sur le rouge. Yagi cria en indi : « Alisha, es-tu là ? On doit repartir. ». Aucune réponse. Yagi s’agenouilla au ras de la porte dont l’extrémité basse permettait de contrôler si le w-c était occupé ou non, il cria : « Il est ici à terre, il a eu un malaise, appelle vite du personnel pour forcer la porte. »
Je courus jusqu’à la caissière pour signaler que notre chauffeur enfermé dans un sanitaire était évanoui, qu’il fallait ouvrir la porte d’urgence et appeler les secours.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Alisha fut extrait inanimé du cagibi, et étendu sur le dallage. On lui ôta le turban, on lui déboutonna le col de la chemise. Une employée humecta les tempes d’un linge mouillé. Tout à coup, il ouvrit les yeux, releva son buste et un vomi jaune jaillit de sa bouche inondant son torse. Quelle odeur, Seigneur !
Il frissonnait. On l’aida à se relever, mais ne tenant pas droit sur les jambes, il s’assit livide sur l’unique chaise du local, attendant le 900 qui avait été alerté.
Je me dis, sans chauffeur, on va être bloqué ici avec la Rolls. Il faudra prévenir l’Ambassade, afin qu’elle envoie un autre chauffeur pour continuer cette journée de vacances à la mer, tandis qu’Alisha sera transporté dans une clinique proche ou obligé de rentrer à Bruxelles en ambulance. Zut, zut, et rezut !
Yagi restait silencieux. Il commanda un jus d’orange et un verre avec une paille.
Il ne demanda pas si je voulais boire quelque chose. Ma bouche était sèche.
– Tu devrais téléphoner à ta mère pour expliquer notre situation.
– Attendons de voir si Alisha a un simple malaise qui va passer, ou bien si c’est plus grave et qu’il est emmené en clinique pour des examens. Il y a d’autres voitures à l’Ambassade. Si ma mère ne peut venir, elle nous enverra une voiture avec deux serviteurs sachant conduire. Le premier restera avec nous, continuera notre excursion en pilotant la Rolls, et l’autre rentrera dans la seconde voiture à Bruxelles avec ou sans Alisha. Restons calmes.
Henri de Meeûs (à suivre)
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